Centrer sa pratique sur un principe pour éliminer les obstacles qui dispersent la conscience: Lequel choisir?

Samadhi pada : sutras I.33 à I.39

Patanjali, nous dévoile les principes sur lesquels nous pouvons nous centrer pour apaiser le mental. Certains sont faciles à mettre en œuvre et le sont d’ailleurs dans les cours de yoga. D’autres sont plus complexes.

I.33 « L’amitié, la compassion , la gaieté clarifient et apaisent le mental ; ce comportement doit s’exercer indifféremment dans le bonheur et le malheur, vis-à-vis de ce qui nous fait du bien, comme vis-à-vis de ce qui nous fait du mal ».

Apprendre à être gai et ouvert, à être en accord avec la conscience profonde sans se laisser emporter par les modifications de la conscience périphérique, quelles que soient les situations, fait partie de l’apprentissage à l’état de yoga au sein de la vie de tous les jours avec ses moments de bonheur et ses moments de malheur. Cet apprentissage quotidien n’est pas toujours aisé.

Autre traduction : « La sérénité psychique provient de l’attitude mentale d’amitié face au bonheur d’autrui, de compassion active devant son malheur, de foi face à sa vertu et de neutralité vis-à-vis de son erreur ». Cet aphorisme évoque directement les relations aux autres. Il indique l’attitude appropriée à développer dans la vie quotidienne »[1].

Ce que propose Patanjali , ce sont les 4 brahma viharas : maitri (amitié ou amour), karuna (compassion), mudita (joie) et upeksha (tranquillité). Les sentiments que Patanjali nous demande de développer sont à l’opposé des comportements adoptés sous l’influence des klesas. Ce sont les clés qui permettent de surmonter les 9 obstacles.

Le premier des quatre brahma viharas est la maitri, ou amour. Le mot sanskrit maitri est dérivé du mot mitra, qui signifie ami. D’après les textes bouddhiques, la maitri est l’amour que l’on ressent pour un ami très cher, très proche et très intime. En Orient, la maitri ou amitié est un sentiment très puissant et très positif, généralement défini comme un désir irrésistible de bonheur et de bien-être pour l’autre personne, non seulement dans un sens matériel mais aussi dans un sens spirituel. La littérature et l’enseignement bouddhiques nous exhortent sans cesse à développer envers tous les êtres vivants le même sentiment que nous avons pour un ami proche et cher. La maitri s’oppose à raga (désir, jalousie)

Le second brahma vihara est la karuna, ou compassion. De façon évidente, la compassion est liée de près à l’amour. L’amour se change en compassion quand il est confronté à la souffrance d’une personne aimée. Selon le bouddhisme, la karuna ou compassion est la plus spirituelle de toutes les émotions, celle qui caractérise en particulier tous les bouddhas et bodhisattvas. Certains bodhisattvas, cependant, incarnent tout particulièrement la compassion. C’est le cas d’Avalokiteshvara, « le Seigneur Qui Regarde d’En Haut (avec compassion) », qui, parmi les bodhisattvas, est l’ « incarnation » principale de la Compassion ou l’archétype de la compassion. Il y a de nombreuses formes différentes d’Avalokiteshvara. Une des plus intéressantes est la forme à onze têtes et mille bras qui est très frappante d’un point de vue symbolique. Les onze têtes représentent le fait que la Compassion voit dans les onze directions de l’espace, c’est à dire dans toutes les directions possibles, tandis que les mille bras représentent son incessante activité compatissante.

Une autre très belle figure de bodhisattva, cette fois-ci féminine, représente la compassion. Il s’agit de Tara, dont le nom signifie « la Salvatrice », ou « l’Étoile ». Une belle légende raconte comment elle est née des larmes d’Avalokiteshvara, alors qu’il pleurait les souffrances et les misères du monde.

Dans la forme Mahayana du bouddhisme, c’est-à-dire dans l’enseignement du « Grand Véhicule », la plus haute des importances est accordée à la compassion. Dans un des soûtras du Mahayana, le Bouddha est représenté disant qu’il ne faut pas enseigner trop de choses au bodhisattva, à celui qui aspire à devenir un bouddha. Si on ne lui enseigne que la compassion, s’il n’apprend que la compassion, cela est bien assez.

Karuna (compassion, miséricorde) s’oppose à Dvesha (répulsion, aversion, antipathie)

Le troisième brahma vihara est la mudita, ou joie sympathique, mais aussi altruisme. C’est le bonheur que nous ressentons du fait du bonheur des autres. Si nous voyons d’autres personnes heureuses nous devrions nous sentir heureux nous aussi ; mais malheureusement ce n’est pas toujours le cas. Mudita s’oppose  à asmita (l’égo).

Le quatrième brahma vihara est l’upeksha, ou tranquillité. Upeksha signifie tranquillité ou, plus simplement, paix. Nous pensons généralement à la paix comme à une chose négative, telle qu’une absence de bruit ou de dérangement. Mais en fait la paix est une chose très positive, pas moins positive que l’amour, que la compassion, que la joie ; cela l’est même beaucoup plus, selon la tradition bouddhique. L’upeksha n’est pas simplement l’absence de quelque chose d’autre, mais une qualité et un état en soi. C’est un état positif et vibrant qui est beaucoup plus proche de l’état de bonheur suprême que de notre conception habituelle de la paix. Tout comme mudita, upeksa (paix, neutralité, équanimité) s’oppose à asmita.

Le comportement décrit par Patanjali,  regroupant les brahma viharas ,  doit s’exercer dans un environnement bienfaisant comme dans un environnement hostile. Il est évidemment facile de se montrer et de se sentir amical, compréhensif et gai avec quelqu’un qu’on apprécie, ou face à des idées ou des comportements avec lesquels on est en accord. Cela devient en revanche difficile, si on se sent agressé, agacé et qu’on ne comprend pas la démarche ou la situation.

Autant il est facile d’être ouvert lorsqu’on est heureux, autant on a tendance à se fermer lorsqu’on se sent mal. En fait, Patanjali nous recommande d’agir an accord avec notre conscience profonde, et non de réagir, emporté par les modifications de notre conscience périphérique.

I.34 « L’expir et la suspension de la respiration produisent les mêmes effets ».

La respiration ou souffle (prana) est en effet un excellent baromètre de notre état intérieur. Le prana est le souffle, la respiration mais aussi la vitalité et l’énergie. Il représente aussi l’âme par opposition au corps. Le Pranayama, évoqué plus haut, représente l’allongement du souffle et son contrôle. La vie d’un yogi ne se compte d’ailleurs pas en jours , mais au nombre de ses respirations.

La respiration est modifiée par toute agitation mentale, mais elle peut, à l’inverse calmer cette agitation. L’attention au souffle (prana) est suffisant, car cette attention crée les conditions qui permettent à la respiration de se réguler d’elle-même.

Créer un espace à la fin de l’inspiration et de l’expiration, c’est lui permettre de retrouver le rythme du corps, beaucoup plus lent, le rythme de l’univers, auquel nous sommes accordés lorsque le mental ne se modifie pas.

I.35 « La stabilité du mental peut aussi venir de son activité en relation avec le monde sensible ».

Autre traduction : « Nous pouvons atteindre la stabilité mentale en demeurant parfaitement présents à tout objet, dès qu’il se manifeste »[2]. Il s’agit de porter l’espace méditatif sur le terrain de l’action comme le suggère la Bhagavad Gita.

Prenons l’exemple d’un diamant qui reflète le support sur lequel il est posé.

Si la conscience périphérique est en relation, par l’intermédiaire des sens, avec des objets qui génèrent le calme, la paix, la tranquillité, rien ne viendra altérer la paix de la conscience profonde. La beauté et le silence de la nature ne produisent pas le même effet sur la conscience que les nuisance de la vie urbaine. 

« Nos sens sont des portes qui nous relient à l’environnement. Ils devraient nous obéir. Bien souvent ils nous commandent. Nous sommes esclaves des objets qu’ils nous présentent. Nous libérer de cet esclavage est un chemin direct vers le yoga »[3].

I.36 « Ou bien de l’expérience d’un état lumineux et serein ».

Patanjali évoque ici les moments de plénitude et d’apaisement que nous connaissons dans la pratique du yoga, mais aussi dans la vie.

Autre traduction « Nous y arrivons également en faisant l’expérience de la radieuse lumière intérieure, éternellement libre de douleur » Il n’est plus question d’objet ou d’absence d’objet, seule la lumière existe. L’état nommé nirodha (arrêt des fluctuations du mental) n’est pas l’absence de quelque chose [4].

I.37 « On peut aussi stabiliser le mental en le mettant en relation avec un être qui connaît l’état sans désir ».

Vivre avec une personne réalisée (vitaraga) peut conduire à la réalisation. Vitaraga est celui (ou celle) qui a dépassé les désirs, qui en est libéré. Si l’on concentre son attention sur un support dont les vibrations sont libres de l’attachement et du désir, il peut y avoir identification de la conscience périphérique avec cet état de détachement et la conscience alors se centre ; c’est l’état d’unité.

En clair, « nous apprenons par imitation, par osmose.(..) Le contact régulier avec un être réalisé demeure le plus formidable catalyseur de l’évolution spirituelle »[5].

I.38 « Ou bien en restant vigilant au cœur même du sommeil et des rêves ».

Etre vigilant pour percevoir tous les états de conscience, sommeil et rêves y compris, accéder ainsi au quatrième état de conscience appelé Turiya, qui correspond au Samadhi.

Concernant la vigilance et les rêves, il s’agit d’essayer de les expliciter comme les psychothérapies nous invitent à le faire . C’est une réponse à une interrogation avancée à propos des rêves comme une des cinq agitations du mental.

Une autre traduction nous dit : « En se concentrant sur la connaissance qui vient dans le Chitta en rêve et dans le sommeil, cela aidera aussi le mental pour la ferme concentration »[6]. On peut concentrer le mental et méditer sur les rêves, sur l’expérience du sujet qui disparaît lorsque nous nous réveillons ; on peut aussi se concentrer et méditer sur l’expérience du vide, du repos de l’extrême félicité expérimentée en sommeil profond.

Dans l’état de veille nous avons l’impression en tant que personne distincte, d’être la source de notre propre pensée. Il n’est pas question ici de rêves par lesquels une certaine forme de connaissance peut-être transmise, ni de rêves prémonitoires, ni d’analyse des rêves tout ceci n’étant pas dénué d’intérêt mais çà n’est pas le propos de Patanjali.

C’est le Même qui connaît l’état de veille et de rêve. En nous éveillant nous réalisons que ce sujet, dans le rêve , n’était qu’une pensée.

La connaissance du sommeil veut dire la connaissance de Celà qui est durant le sommeil. Il n’existe plus aucun sujet ni objet durant le sommeil profond  ce qui suggèrerait « l’idée de néant »et pourtant ce n’est pas « rien ». L’idée de néant est un puissant levier de connaissance de l’existence. L’examen méditatif de cette possibilité mène l’attention inexorablement vers la pure existence. Heidegger appelait une telle expérience « l’anticipation de la mort » et il suggérait la prise de conscience énergique du caractère absolu de la pure existence.

I.39 « Ou encore, par la méditation sur un objet de son choix ».

En sept Sutras, Patanjali énumère les conditions qui vont créer l’état d’unité.

Que ce soit l’exercice de la concentration, de la respiration, la qualité de la relation avec l’environnement, tous ces moyens convergent et trouvent leur aboutissement dans la méditation.

Dhyana est formé sur la racine dhi-, qui signifie penser, au sens global, intuitif. Il a donné le mot Zen en japonais. C’est l’étape ultime, dans la pratique du yoga avant le Samadhi. On peut décider de se concentrer, on ne peut pas décider de méditer. La méditation est un mode de vie. Elle élargit le champ de la conscience. « Méditer, dit Krishnamurti, c’est être conscient de tout à chaque instant »[7].

 Il est préférable de méditer sur un objet de son choix, sur notre réalité et non sur un objet qui nous est étranger. L’idée est d’utiliser l’énergie là où elle a été investie et où elle demeure. Il est sage de méditer sur notre réalité, sinon il persiste toujours une fragmentation. C’est d’ailleurs là un des gros problèmes de l’usage des drogues dans le but d’atteindre un état de conscience supérieur : C’est importer autre chose que ce qui est là. Il n’existe aucun substitut à l’examen lucide de ce qui est là : nos désirs, nos peurs, nos préférences, nos identifications.

Le signe du succès est la perte de dépendance face à cette méthode. Ultimement, la méditation porte sur le Soi en tant que Soi et sur rien d’autre.

[1] Bernard Bouanchaud, Yoga-sutra de Patanjali, Miroir de Soi, Editions Agamat, Palaiseau 2003, p. 67

[2] Jean Bouchart d’Orval, Patanjali, La maturité de la joie, Les Editions du Relié, Gordes 1998, p.89

[3] B. Bouanchaud, op. cit. p. 70

[4] J. Bouchart d’Orval, op. cit, p.90

[5] J. Bouchart d’Orval, op. cit, p.91

[6] Swâmi Sadânanda , Les Yoga-sutras de Patanjali, Le Courrier du Livre, Paris, 1976, p.78

[7] Françoise Mazet, Patanjali, Yoga-sutras, coll. Spiritualités vivantes, Ed Albin Michel, 1991,p.53

Bibliographie

Françoise Mazet, Patanjali, Yoga-sutras, coll. Spiritualités vivantes, Ed Albin Michel, 1991, 217 pages

B.K.S Iyengar, Bible du Yoga, coll. Aventure secrète, Ed. J’ai lu, 2009, 596 pages

Jean Bouchart d’Orval, Patanjali, La maturité de la joie, Les Editions du Relié, Gordes 1998

Swâmi Sadânanda , Les Yoga-sutras de Patanjali, Le Courrier du Livre, Paris, 1976

Bernard Bouanchaud, Yoga-sutra de Patanjali, Miroir de Soi, Editions Agamat, Palaiseau 2003

Yves Durand D’Aragon, La Lumière sur le Yoga Royal, Le Courrier du Livre, Paris 1997

Author: sfl73_pass_Sa03Na08

DIPLOMES 1980 Diplôme d’Etat d’Infirmière 1996 Diplôme de Cadre de Santé 1998 DU de Soins Palliatifs 2007 DU Ethique Soins et Santé PARCOURS PROFESSIONNEL 1980-1983 Infirmière AU CHU de Rouen 1983-1995 Infirmière dans les services de Médecine et de Cure Médicale dans un Hôpital Local Faisant fonction de cadre à partir de 1989 Infirmière Coordinatrice du SSIAD rattaché à l’établissement en 1993 1996-2002 Cadre de Santé au CHU de Rouen dans différents services, de nuit puis de jour 2002-2005 Cadre de Santé en EHPAD dans un CH de la région Normandie, responsable de 6 unités de soins soit 167 lits et chargée de missions transversales (notamment la Gestion des Risques) 2005-2018 Cadre de Santé Formateur à l’IFSI du CHU de Rouen TRAVAUX REALISES: mise en place d'un SSIAD, Transmissions ciblées, Chef de projet sur la réalisation d'un film illustrant le protocole de pose d’une bande de contention veineuse et présentation dans différents congrès, évaluation de la prise en charge de la douleur, évaluation de l'éducation des patients sous AVK, référent SIIPS, Participation au groupe de travail sur la mise en place des CLAN (Comité de Liaison Alimentation Nutrition) à la DHOS, gestionnaire de risques, animateur d'un groupe d'évaluation dans le cadre de la certification, réalisation d'audits, participation à l'élaboration et à la réactualisation de protocoles de soins. PARTICIPATION AUX INSTANCES: Conseil d’Administration, Commission de Soins, CLAN.

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