Depuis ses origines, l’homme est confronté aux maladies et aux blessures. La découverte et l’analyse d’ossements fossilisés d’hommes préhistoriques ont montré qu’ils étaient atteints de maladies telles que le cancer, la tuberculose et la syphilis, et bien d’autres. Des cals sur ces os montrent que l’immobilisation était déjà utilisée pour traiter les fractures. La trépanation semble avoir été pratiquée dès le néolithique, tant du vivant des sujets à visée thérapeutique qu’après leur mort, probablement dans un but mystique ou rituel. De même, des amputations ont été réalisées avec succès dès cette époque, et l’utilisation de prothèse comme en témoigne une découverte faite au Kazakhstan dans les années 70 (un squelette de femme présentant une amputation du pied gauche, ce qui est déjà en soi une intervention majeure ; mais, fait plus troublant encore, le pied amputé avait été remplacé par une prothèse façonné dans une patte de bélier). Des traces de pratiques de rééducation ont également été découvertes. De même, dans un site marocain, un squelette d’une femme polytraumatisée, atteinte notamment d’une fracture de la clavicule et de fractures des deux avant-bras, a été retrouvé. Ses lésions avaient cicatrisé et étaient consolidées, ce qui laisse penser qu’elle avait survécu. Ne pouvant subvenir seule à ses besoins quotidiens, elle a donc dû être aidée par toute la communauté, bien qu’étant devenue une bouche inutile pour le groupe. Encore plus surprenant, une statuette d’argile de l’âge de pierre porte devant les yeux « des lunettes » faites de plaquettes de bois percées d’une étroite fente horizontale.
Que dire du rôle des femmes à cette époque ? Ce qui ressort souvent, c’est que les « chamans », souvent des hommes s’occupaient du monde des esprits, pendant que les femmes s’occupaient des corps. Elles effectuaient notamment la cueillette des plantes et participaient également à la chasse. L’homme n’était pas le seul pourvoyeur de protéines. D’ailleurs, depuis 2003, la philosophe et historienne des sciences, Claudine COHEN, s’efforce de réhabiliter la femme du néolithique. On peut d’ailleurs imaginer qu’elles ont joué un rôle essentiel dans l’invention de l’agriculture. En tous cas, il est certain qu’elles étaient expertes dans la sélection des graines, des baies, des plantes et des herbes. Elles ont eu, par ce biais, l’occasion d’avoir un rôle essentiel dans l’alimentation par l’observation des vertus nutritives de certaines plantes ou encore celles permettant le tissage ou la fabrication de certains objets domestiques. Mais leur observation a aussi permis de repérer leurs vertus médicinales.
L’utilisation des plantes médicinales est étayée par une étude approfondie de crânes néanderthaliens fossilisé d’environ 50 000 ans, par une équipe internationale dirigée par Karen Hardy, de l’Université autonome de Barcelone (Espagne), et Stephen Buckley, de l’Université d’York (Royaume-Uni). Ces néanderthaliens consommaient plus de noix, d’herbes, de féculents sauvages que de viande. Qui plus est, les plantes consommées pouvaient être crues ou cuites ; L’un des individus avait consommé de l’achillée millefeuille, un astringent naturel, et de la camomille, anti-inflammatoire. Le goût amer de ces deux plantes plaide pour une utilisation médicinale plutôt que nutritionnelle.
Des hommes préhistoriques de l’actuelle Afrique du Sud avaient inventé la literie anti-moustiques, il y a plus de 75 000 ans, en recouvrant leurs tapis de sol de plantes aux vertus insecticides. Cette litière était composée de joncs et de carex recouverts d’une mince couche de cryptocaria woodi aux vertus insecticides et larvicides. Selon la paléobotanique, les guérisseurs(ses) de la préhistoire connaissaient les vertus de nombreuses plantes. Vieux de 5300 ans, Otzi, l’homme des glaces découvert en 1991 dans le sud du Tyrol, portait une pochette médicinale contenant un champignon connu pour ses vertus purgatives. D’après les recherches paléobotaniques, les habitants du lac de Chalain, dans le Jura (3200-2900 av. JC) auraient soigné le ténia avec des spores de fougère ou pansé les plaies avec des cataplasmes de muscles de grenouilles.
Dans son ouvrage « les enfants de la terre », Jean Auel mentionnent beaucoup de plantes médicinales repérées par les paléobotanistes comme réellement utilisées pendant la préhistoire :
- Aigremoine (ou Eupatoire), dont l’infusion de fleurs et de feuilles était utilisée pour les blessures et contusions internes, également antipyrétique et efficace sur l’enrouement
- Armoise utilisée comme antispasmodique
- Aubépine dont les pétales sont utilisés pour fabriquer une lotion astringente pour la peau
- Bouillon blanc pour calmer la toux et soigner les affections respiratoires, avec une cation anti-inflammatoire
- Camomille à la fois plante digestive et utilisée pour nettoyer les blessures
- Chardon jaune, dont les fleurs bouillies et en lotion servaient aussi à soigner les brûlures
- Consoude dont les racines aidaient à la consolidation des fractures et à la cicatrisation des blessures
- Digitale pour renforcer le coeur
- Ecorce de saule, utilisée comme antalgique et antipyrétique
- Ergot de seigle pour provoquer les contractions et faciliter l’accouchement
- Fil d’or (de la famille des renonculacées et longtemps utilisé en médecine chinoise) comme contraceptif
- Gaultherie pour soigner les douleurs articulaires
- Hysope, utilisée contre les rhumes mais dont les fleurs étaient également utilisées pour soigner les brûlures en cataplasme avec des fleurs de verge d’or et de rudbeckie
- Jusquiame, plante vénéneuse mais puissant narcotique , utilisé lors de rituels chamaniques, mais utilisée également contre la douleur, les contractions musculaires
- Lobélie pour traiter l’asthme, la coqueluche, la bronchite chronique
- Luzerne dont les feuilles macérées dans l’eau chaude favorisaient la coagulation du sang
- Lys des marais dont les racines apaisaient les brûlures et les douleurs dentaires
- Menthe dont les fleurs et les feuilles utilisées en cataplasme soignaient les brûlures par eau bouillante
- Porelle, tonique et dépurative
- Roses trémières pour soigner les irritations, les maux de gorge, les écorchures et les égratignures
- Tussilage dont les feuilles séchées étaient utilisées en inhalation contre l’asthme
- Sauge pour soigner les maux de gorge, mais aussi la désinfection des plaies
- Souci dont les fleurs sont utilisées pour soigner les plaies, les ulcères et les irritations cutanées ;
Certains anthropologues soutiennent la thèse de femmes matriarches, respectées du fait de leur capacité à donner la vie. Les femmes de cette époque utilisaient des méthodes contraceptives. L’observation leur avait permis de constater l’effet inhibiteur de l’allaitement sur l’ovulation, sans en connaître tous les phénomènes anatomo-physiologiques, bien entendu. Cette aménorrhée de lactation leur permettait d’espacer les naissances. Elles avaient aussi découvert les vertus contraceptives ou abortives de certaines plantes. Les femmes plus âgées assistaient leurs filles dans l’éducation et la croissance des enfants. Les femmes, maîtresses de leur cycle, auraient également sélectionné les géniteurs. Ce pouvoir de donner la vie est à l’origine de la théorie de la Déesse-mère de certains archéologues.
S’il ne fait aucun doute que les plantes ont été employées dans un but thérapeutiques, puisque divers récipients en conservent les traces, sans recettes, sans écrits, on ignore les méthodes de ces premiers guérisseurs. Après l’invention de l’écriture, les traces sont plus tangibles. C’est ce que nous verrons dans un prochain article.
Bibliographie
Claudine COHEN, La femme des origines : images de la femme dans la préhistoire occidentale, Paris, Belin Herscher, 2003