Comment évoquer le contexte français de la profession infirmière sans parler de Florence Nightingale qui est sans conteste la pionnière des soins infirmiers modernes ! La guerre de Crimée l’a rendue célèbre. Ce ne sont pourtant que deux petites années de sa vie qui en ont fait une légende de son vivant, la personnalité la plus connue de Grande Bretagne après la reine Victoria à cette époque selon la BBC. La majeure partie de sa vie (elle décède à 90 ans), elle l’a consacrée à faire adopter et développer des programmes de formation des infirmières, à construire les fondations d’une nouvelle profession ouverte aux femmes !
Jeunesse dans une famille aisée et vocation difficile à imposer
Issue d’une famille riche de la haute société britannique, elle est née le 12 mai 1820 à Florence, au cours du voyage de noces de ses parents commencé en 1818. Elle porte le nom de sa ville de naissance, tout comme sa sœur aînée, née en 1919 à Naples, et prénommée Parthénope (nom grec de la ville). Elle reçoit de ses parents une éducation soignée : outre la français qu’elle parle couramment à 9ans, son père lui apprend le latin, l’allemand, l’italien, la philosophie et l’histoire ; Et en 1839, elle étudie même les mathématiques avec le mathématicien James Joseph Sylvester (ce qui explique son engouement pour les statistiques).
Florence manifeste tôt un réel intérêt pour les questions sociales et le monde de la santé. Elle décide de s’investir dans le soin des malades, en visitant les maisons de malades et en s’informant sur les hôpitaux et les soins. Sa rencontre avec Samuel Gridley Howe, médecin américain qui a créé les premières écoles pour aveugles aux USA, conforte son attrait pour les soins. En 1844, elle devient même une ardente militante de l’amélioration des soins dans les infirmeries, avec le soutien de Charles Villiers, président du « Poor Law Board », après le scandale du décès d’un malade dans l’infirmerie d’une « workhouse ».
Mais, face à son souhait de devenir infirmière, elle rencontre l’opposition de ses parents, pour lesquels comme beaucoup de personnes, en ce milieu de XIXème siècle, la profession d’infirmière est faite pour les pauvres, les illettrés, voire les femmes de mauvaise vie. Ce qui ne l’empêche pas de visiter pour la première fois, en juin 1846, un hôpital, celui fondé à Londres par Christian Von Bunsen, . Elle se plonge dans livres et rapports sur les hôpitaux et les grandes questions de santé publique.
Au milieu des années 1840, elle est courtisée par un homme politique et poète, Robert Monckton Milnes, dont elle apprécie la personnalité et l’engagement contre la famine en Irlande.
Elle part en voyage à travers l’Europe, avec un couple d’amis de la famille. Au cours de ce périple, elle rencontre Sidney Herbert, homme politique qui a été Secrétaire à la Guerre de 1845 à 1846, et qu’il redeviendra de nouveau lors de la Guerre de Crimée. Il jouera un rôle décisif dans la carrière de Florence en lui apportant son aide en Crimée dans le domaine des soins infirmiers, et de son côté, Florence sera pour lui une conseillère pour sa carrière politique.
Au retour, les voyageurs passent par Kaiserswerth, en Allemagne, pour rendre visite au pasteur Fliedner de l’hôpital pour diaconesses. Florence y retourne, l’année suivante, en 1851 et suit pendant 3 mois une formation pour devenir soignante, malgré l’opposition familiale. Après son retour, au cours de 1852, elle publie son premier livre : « The Institution of Kaiserswerth on the Rhine, for the Practical Training of Deaconesses ».
Elle visite l’Hôpital Lariboisière, en 1853 et elle est impressionnée par les locaux : des salles regroupées en plusieurs pavillons, très lumineuses et aérées. Florence y mène des recherches sur la mortalité qui s’avère moindre que dans d’autres établissements.
La formation suivie en Allemagne lui permet de trouver un emploi (non rémunéré) de Surveillante de l’ « Institute for the care of the sick Gentlewomen » à Londres en 1853. Elle réalise des études qui apportent la preuve que la mortalité est plus importante dans les hôpitaux londoniens qu’à domicile. Elle met en place les améliorations dans les pratiques et acquiert une certaine renommée, qui lui permet de viser le poste d’infirmière-chef à l’hôpital de King’s College, mais, c’est compter sans la guerre..
La guerre de Crimée : la Dame à la lampe
En mars 1854, la Grande Bretagne, la France déclarent la guerre à la Russie faisant causse commune avec l’Empire ottoman. L’Angleterre de Victoria veut contrer les ambitions au Moyen-Orient et la France de Napoléon III veut conserver le protectorat des chrétiens de Turquie. Les forces franco-britannico-turques remportent la bataille de l’Alma en septembre. Pour la première fois, un gouvernement, le gouvernement britannique, engage un photographe pour faire un reportage photographique sur la guerre. L’opinion publique est donc beaucoup plus informée sur sort des soldats, elle est particulièrement alertée par la critique du Times sur les soins prodigués aux blessés. Sidney Herbert, ministre de la guerre, charge Florence Nightingale qu’il connaît bien pour superviser le travail des soignants, tout en soignant elle-même les patients dans les hôpitaux militaires en Turquie. Le 4 Novembre 1854, Florence, accompagnée de 38 autres infirmières, arrive dans l’hôpital militaire de Scutari. Son arrivée est peu appréciée des médecins dérangés dans leurs habitudes, mais adroitement, Florence place ses infirmières sous leurs ordres. Lorsqu’un nouvel arrivage de blessés en provenance de la bataille d’Inkermann les submerge, l’aide des infirmières est bienvenue.
Dans cet établissement sans fenêtre, ni corridor, -construit sur un égout, elle constate les effets désastreux du manque d’organisation, des techniques de soin improvisées et surtout de l’absence des mesures d’hygiène. Florence réorganise les soins et fait récurer les salles. Elle agence une blanchisserie, apporte des améliorations dans l’alimentation des malades.. Les heurts. Les frictions sont fréquentes avec l’intendance, les reporters présents l’ont relaté.
Florence, appelée « la Dame à la lampe » car elle visite les blessés la nuit, se préoccupe du moral des patients en écrivant, sous leur dictée, des lettres à leurs familles y joignant leur solde. Elle aménage des salles de lecture. Par toutes ces actions, l’estime de tous les soldats anglais lui est acquise, faisant un succès de l’introduction des femmes dans des hôpitaux militaires.
Dès janvier 1855, Florence, au vu de la mortalité toujours très élevée, suggère à Herbert les améliorations à apporter au service de santé des armées, agaçant au passage quelques médecins. En mars 1855, Londres envoie une commission sanitaire dont la mission est de nettoyer les égouts et d’organiser un système de ventilation. Peu après, le taux de mortalité diminue fortement.
Lorsqu’elle rentre à Londres en août 1856, l’infirmière a acquis la reconnaissance des anglais, elle fait autorité et a l’oreille des hommes politiques. Ses idées de réforme du service de santé des armées sont mises en œuvre : organisation propre, indépendante de l’intendance, directions des hôpitaux par les médecins qui jusque-là n’avaient qu’un rôle technique et ne pouvaient participer aux prises de décisions concernant le service militaire de santé.
Une souscription nationale, le Fonds Nightingale, est organisée en novembre 1855, par des admirateurs de son action. Cette manifestation de la reconnaissance de la nation à son égard, permet de récolter des fonds destinés à l’amélioration des hôpitaux civils britanniques et à la création d’un centre de formation d’infirmières.
Accueillie en héroïne, à son retour de Crimée, elle préfère se retirer et travailler dans la discrétion. Et en 1857, sollicitée par la reine Victoria elle joue un rôle essentiel dans la « Commission royale pour la santé de l’Armée » chargée d’améliorer l’état sanitaire pour la création de laquelle elle a beaucoup bataillé, et présidée par Herbert. Malgré son état de santé précaire (elle souffre d’une fièvre, probable brucellose contractée en Crimée) qui la confine dans la chambre d’hôtel qu’elle loue à Picadilly, elle continue à travailler en coulisses. Elle rédige le rapport de plus de mille pages de la commission incluant des rapports statistiques détaillés. Pour avoir contribué aux statistiques sur l’Armée, mais aussi pour ses études statistiques comparatives des hôpitaux et son esprit méthodique, elle devient la première femme élue à la Société royale de statistiques en 1860, année où elle assiste, également, à la création de la première école de médecine militaire du Royaume-Uni.
En 1861, lors de la Guerre de Sécession aux Etats-Unis, les hauts responsables de l’Armée nordiste sollicitent son avis sur les soins à prodiguer aux soldats sur le terrain. Elle a inspiré la « United States Sanitary Commission ».
En 1864, elle met sur pied un système de soins à domicile, des maisons de naissance, des hôpitaux pour les pauvres et les malades mentaux, et s’implique dans plusieurs autres démarches dans ce domaine.
Engagement sans faille pour la formation d’infirmières compétentes, collaboratrices des médecins
L’idée de former des infirmières n’est pas nouvelle dans l’Angleterre du milieu du XIXème siècle. Avant la guerre de Crimée, des congrégations religieuses au service des malades ont formé nombre d’infirmières compétentes, dans un certain nombre d’écoles créées entre 1830 et 1840. D’ailleurs, 6 infirmières de Saint John’s House, congrégation anglicane, ont accompagné Florence en Crimée. Mais, la « Dame à la lampe » tient à créer des écoles laïques.
En 1859, elle publie son ouvrage le plus connu, « Notes on Nursing ». Il établit les principes des soins : observation soignée et sensibilité aux besoins du patient. Ces principes sont plus que jamais d’actualité. Ce petit livre de 136 pages « Notes on Nursing » a été traduit en onze langues étrangères.
La même année, avec le fonds Nightingale, elle mène les négociations qui aboutiront en 1860 à la création de la « Nightingale Training School » à l’hôpital Saint Thomas à Londres, grâce aux fonds récoltés lors de la souscription de 1855. Les infirmières-stagiaires reçoivent une formation d’un an comprenant quelques conférences mais surtout un travail pratique en salle sous la surveillance de la sœur de salle. Ayant prouvé que les femmes ont une place dans les hôpitaux militaires, son désir est de hisser le « Nursing » au niveau d’un enseignement professionnel ». Elle va s’atteler à la avec ardeur en faisant de multiples visites de terrain, des inspections suivies de rapports aux autorités concernées et des conseils méticuleux. Elle montre une opiniâtreté à moraliser les attitudes et les comportements du personnel soignant, visant haut niveau de respectabilité, et à généraliser les mesures d’hygiène. Car les premières années de l’école sont difficiles : le système repose sur des sœurs qui n’ont-elles-mêmes pas toutes de qualifications, les médecins ne voient pas toujours l’intérêt d’une formation pour les infirmières, la surveillante générale utilise les stagiaires comme personnel supplémentaire, et le recrutement des stagiaires ayant les qualités requises est difficile.
Dans sa réforme de la formation infirmier, les candidates que souhaite recruter Florence Nightingale sont des jeunes filles instruites, ce qui concerne plutôt la bourgeoisie, voire l’aristocratie. Il est évident pour elle à l’époque que la fonction est dévolue aux femmes. En effet, le partage des fonctions entre hommes et femmes est très normé dans l’Angleterre Victorienne. Le profil professionnel attendu est de faire des stagiaires des soignantes cultivées et bien préparée à leur fonction, bienveillantes mais sachant se positionner et dynamiques. Le nursing de Nightingale (traduit à l’époque par « infirmat » c’est à dire l’exercice infirmier) est une branche de « l’art médical » au même titre que la chirurgie et la médecine. La formation à l’organisation des services hospitaliers fait partie du cursus de nursing et permet aux infirmières (nurses en anglais) d’exercer des fonctions autonomes (matrones ou surintendantes) dans la hiérarchie hospitalière. La nurse travaille en collaboration avec le médecin ou le chirurgien, mais son activité centrée est sur le malade et ne comporte aucun lien de subordination. En effet, à la différence du modèle de Bourneville en France, le modèle anglais est le partenariat. Enfin, les fonctions infirmières de grades supérieurs requièrent des connaissances relatives à la santé, l’économie aussi solides que celles enseignées aux médecins et chirurgiens. La formation permet d’acquérir des outils et une culture professionnels par le biais des contenus disciplinaires, l’objectif étant que les infirmières soient capables de prendre des initiatives pertinentes suite à l’analyse des situations rencontrées. Dans ce but, l’école est rattachée à un hôpital, deux pôles complémentaires pour la formation. Le rôle sur prescriptions médicales définit dans quelle zone les domaines d’activité interfèrent dans la collaboration avec les médecins. Un rôle propre infirmier est défini dès la publication de « Notes on nursing » et « notes on hospitals ».
En 1869, avec Elizabeth Blackwell, elle crée le Women’s Medical College et dans les années 1870, elle est le guide de Linda Richards, « la première infirmière formée d’Amérique » qui retournera aux États-Unis où elle sera à son tour une grande pionnière des soins infirmières.
A partir de 1872, Florence se consacre très attentivement à l’organisation de l’école et pendant trente ans, elle écrit presque chaque année, une lettre ouverte aux infirmières et aux stagiaires dans lesquelles elle distille des conseils. Les infirmières formées sont ensuite envoyées sur tout le territoire britannique et à l’étranger pour créer de nouvelles écoles sur le modèle Nightingale. D’ailleurs, ce modèle pour la formation des infirmières est adopté aux États-Unis en 1873. Au début des années 1880, les infirmières « Nightingale » ont sont très influentes au sein de la profession naissante. Beaucoup d’entre elles deviennent infirmières en chef de plusieurs hôpitaux notables de Grande Bretagne, comme le St Mary’s Hospital, le Westminster Hospital, et même d’Australie.
Dans les articles qu’elle rédige, en 1882, pour le dictionnaire de médecine Quain, elle indique sa vision d’un établissement de formation idéal : la sœur résidente a la fonction essentielle de renforcer ce que les stagiaires apprennent dans les salles et de surveiller leur développement moral. Cela ressemble beaucoup au rôle d’une infirmière formatrice. Cependant, en 1860, Florence Nightingale considère que cette fonction peut être remplie par la surveillante générale, les infirmières et les médecins.
Elle expose aussi sa théorie de l’apprentissage mettant l’accent sur l’acquisition des compétences pratiques : « l’observation nous apprend comment est le patient, la réflexion ce qu’il faut faire, la formation comment il faut le faire ». Selon, l’infirmière apprend à apprendre, mais le processus se poursuit avec de nouvelles formations périodiquement.
Une vieillesse marquée par la maladie, mais toujours à l’oeuvre
En 1896, Florence Nightingale, très malade, n’arrive plus à se déplacer par elle-même, probablement victime du syndrome de fatigue chronique ou de fibromyalgie. Elle passe les treize dernières années de sa vie, chez elle, à Londres où elle vit depuis 1865. Mais, bien qu’elle soit clouée au lit, elle continue à œuvrer pour l’amélioration du niveau des soins et de la santé, en écrivant livres, rapports et brochures, dont l’effet sera majeur. Ses réformes ont influencé la nature des soins de santé modernes et ses écrits continuent à être une ressource pour les infirmières et les gestionnaires de santé. Elle s’oppose à la certification des infirmières, n’y voyant qu’une copie du modèle des médecins, et craignant que les infirmières n’y voient un achèvement de leur formation. Selon Nightingale, les exigences de la fonction infirmières sont différentes de celles des médecins. Elle estime que le bien-être des malades, qui est de la responsabilité infirmière, nécessite que ces professionnelles voient leur travail comme une mission supérieure, une vocation et non comme une profession.
Pour son œuvre, elle reçoit également de nombreuse décorations : la Royal Red Cross par la reine Victoria (1883), l’Ordre du mérite qu’elle est la première femme à recevoir (1907), l’Honorary Freedom of the City of London (1908).
Florence Nightingale meurt chez elle, à l’âge de 90 ans, le 13 août 1910 . Elle est enterrée à St Margaret Church dans East Wellow (Hampshire), près de la maison de ses parents, parc d’Embley au Hampshire. Elle a refusé les funérailles nationales à l’abbaye de Westminster.
Hommages
La Journée internationale des l’infirmières est célébrée dans le monde entier le 12 mai, jour de l’anniversaire de naissance de Florence Nightingale.
Le 12 mai, est également la date de la journée mondiale de la fibromyalgie, en hommage à Florence Nightingale qui a souffert une grande partie de sa vie de cette maladie chronique.
La Médaille Florence Nightingale est attribuée aux infirmières et infirmiers diplômés et aux auxiliaires volontaires, membres actifs, collaboratrices ou collaborateurs réguliers de leur Société nationale de la Croix-Rouge ou du Croissant-Rouge ou d’une institution de soins médicaux ou infirmiers affiliée à celle-ci. Elle est destinée à honorer les personnes qui se seront distinguées en temps de guerre ou en temps de paix,
– par un courage et un dévouement exceptionnels en faveur de blessés, malades, infirmes ou en faveur de populations civiles, victimes d’un conflit ou d’une catastrophe,
– ou pour des services exemplaires et un esprit pionnier et créatif dans les domaines de la prévention, de la santé publique et de la formation aux soins infirmiers.
La demande en est faite auprès du Comité international de la Croix-Rouge, au moyen des formulaires d’inscription envoyés aux Comités centraux des Sociétés nationales au mois de septembre de l’année précédant celle de l’attribution de la Médaille (le 12 mai), les candidatures doivent être présentées et appuyées par les Comités centraux des Sociétés nationales.
Bibliographie
DUBOYS FRESNEY C [et al.], Le métier d’infirmière en France – PUF. 2009 ; 128 pages Gilbert Sinoué, La Dame à la lampe. Une vie de Florence Nightingale, Éditions France-Loisirs, Paris, 2008, 283 p. [ (ISBN 9782-298-01906-3)]
BALY M-E – Florence Nightingale à travers ses écrits, InterEditions, Paris, 1993, 147 p.
SINOUE G – La Dame à la lampe. Une vie de Florence Nightingale, Éditions France-Loisirs, Paris, 2008, 283 p
CARBUCCIA H [et al] – Modèles professionnels et identification des élèves infirmiers(es) au début du XXe siècle – in Sciences-Croisées Numéro 2-3 – pp. 1-17
Lien pour Notes on nursing: http://digital.library.upenn.edu/women/nightingale/nursing/nursing.html
Enregistrement rare de la voix de Florence Nightingale: